mercredi 9 février 2011

Le Grand Radeau : promenade photographique en zone humide avec le Parc de Camargue (suite)

L'eau monte au Grand Radeau en ce 29 janvier glacial, humide et venteux, où nous avons obstinément décidé que "ça va se lever". Nous avons même deux petits enfants avec nous, stoïques et enthousiastes eux aussi.

Christophe, notre guide, tête nue et souriant comme si de rien n'était, nous fait d'entrée le cadeau de nous montrer des grues cendrées, par petits groupes sur une levée de terre, à quelques mètres de la route qui mène au bac. Plus proches encore, deux cigognes viennent aux nouvelles. Elles nous survolent lentement, l'une après l'autre, pour se poser de l'autre côté du chemin, pas farouches. 
Le mas du Sauvage a des airs de Belle au Bois Dormant, les chars rouge et bleu reposent en silence au bord de la roubine, gardés par les chevaux de la manade. Au loin déboulent les taureaux, s'arrêtent et nous regardent passer.



Sous les genévriers de Phénicie la roubine prend des teintes bleu turquoise et les bois flottés des allures de chevaux sauvages.


Flamants et bécasseaux voisinent nonchalamment alors que là-bas, les vagues grondent le long de l'enrochement qui protège la plage. Leur dos se gonfle au-dessus de la digue et le flot se déverse pour grossir les rivières inversées qu'il devient impossible de franchir à pied sec.


Peu importe nous passerons quand même, ceux qui ont pensé aux bottes portent les enfants, d'autres pataugent pieds nus malgré le froid.
La mer n'est encore qu'agitée à forte mais elle paraît plus haute que le rivage déjà submergé. 



La présence humaine semble aussi fragile et tenace que ces pieux fichés dans les étangs, silhouettes obstinées amarrées à leur reflet.



Photos 1, 3, 8, 9, 10, 11, 16 ©Eric Prats, voir l'album
Photos 2, 4, 5, 6, 7, 12, 13, 14, 15, 17, 18 ©Isabelle Secretan, voir l'album
Dossier de La Tour du Valat : Vers un observatoire des zones humides méditerranéennes, évolution de la biodiversité de 1970 à nos jours

mardi 8 février 2011

Balade photographique avec le Parc de Camargue (suite) : Beauduc

Nostalgique, cette balade à Beauduc. Un de ces jours de mistral sans soleil, à l'envers, où le gris bleu se fond dans le gris rose et le gris lumière. 
Notre groupe a des airs de caravane sur la longue piste bordée de martelières, de ponts, de digues, des innombrables ouvrages qui signalent les salins avant de parvenir à la prise où les pompes, aujourd'hui inactives, envoyaient des milliers de mètres cubes d'eau salée vers les partènements.
Faraman, à bâbord, la Gachole à tribord, le golfe de Beauduc se fond entre sable et mer. 

Vers la Gachole, c'est le domaine de l'Etat, toutes les cabanes ont été rasées, y compris les restaurants  "Marc et Mireille" et "Chez Juju". Quelques pêcheurs de tellines et de muges sont toujours là pourtant, quelques cyclistes courageux, et un jeune dauphin bleu et blanc, échoué sur la plage.
Dans les vagues on distingue des groupes de macreuses, portées par la houle. Sternes, fous de bassan, goëlands, mouettes, tous les oiseaux de mer sont là. Le golfe de Beauduc joue un rôle de nurserie pour beaucoup d'espèces de poissons. Un réserve y est créée à l'initiative des pêcheurs dits petits métiers, et du Parc de Camargue. Entre les deux bras du Rhône, les fonds sableux changent constamment, pièges pour les bateaux : 17 épaves dorment dans le golfe.
Les flamants nichent à proximité, dans l'étang du Fangassier, seul site de nidification en France. Leur présence est favorisée par la création d'un îlot artificiel, à l'initiative de la Tour du Valat (Centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes), et par l'exploitation du sel, favorable à la prolifération de l'algue rouge dont se nourrit l'artemia, la crevette des flamants, celle qui leur donne la couleur du phénix. La diminution drastique et programmée de la production, en plus des problèmes humains qu'elle pose, renvoie la préservation de cet équilibre à la collectivité. Le parti pris est de laisser s'interpénétrer davantage les étangs et la mer, retrait stratégique.
Le conservatoire du littoral a récemment racheté 6000 hectares aux Salins du Midi, notamment le domaine de la Bélugue tout proche. 
De l'autre côté de la prise, on est encore dans le domaine des salins, et là, les cabanes sont encore debout, de bric et de broc, avec leurs piquets, leurs clôtures de filets et leurs planches délavées.

Dans les années 20, Carle Naudot a déjà photographié le pique-nique à Beauduc et les ruines de l'ancien phare de Faraman, aujourd'hui sous l'eau (à voir au Musée Camarguais). 
Un pluvier argenté s'immobilise dans les reflets, des courlis cherchent leur pitance et là-bas, devant le bateau de pêche, sur les pieux fichés dans les vagues, à côté de deux goëlands leucophées et commun, notre guide reconnaît un goëland railleur, beaucoup plus rare.
ll faut avoir l'oeil à Beauduc, un reflet, un éclair de soleil, un banc de sable, cadeaux ou orages du ciel et de la mer que les cabaniers ont toujours su recueillir ou détourner. 
Nous reviendrons aux beaux jours, la légende est tenace. Tout en haut de sa tour, la plus haute de Méditerranée, le fanal de Faraman vient de s'allumer dans la nuit qui gagne. 

Photos 2, 3, 4, 6, 7, ©Gudrun Bauer, voir l'album
Photos 1, 5, ©Isabelle Secretan, voir l'album
Taper "Carle Naudot" ou "Beauduc" dans la case recherche de la base Joconde (Ministère de la Culture) pour accéder aux photos.
Le site Beauduc, l'utopie des gratte-plage, par Laurence Nicolas, ethnologue. C'est aussi un livre : 2008 : Nicolas L, Beauduc, l’utopie des gratte-plage – étude ethnologique d’une communauté de cabaniers sur le littoral camarguais, Images en Manœuvre ed., Marseille.
"Beauduc, le paradis existait", sur le blog Impasse des Pas Perdus, plein de photos.
Le dossier de la Tour du Valat sur les flamants roses.

lundi 7 février 2011

Journées photographiques avec le Parc de Camargue (suite) : Plage d'Arles Piémanson

Une journée cristalline et radieuse, ce 18 décembre. -7° en quittant Aigues-Mortes le matin et sur la plage d'Arles, à Piémanson, les flaques d'eau de mer étaient gelées. 

Les bois flottés peuplaient la plage, fantômes des campeurs de l'été, et racontaient des histoires de tempête et d'emplein.


Le vent dessinait des bébés dunes derrière chaque aspérité, dénudait les pieds de salicorne.



Dans l'air sec d'une transparence exceptionnelle, les montagnes se découpaient derrière les cheminées de Fos, les Alpilles, le Ventoux, le Lubéron, les sommets enneigés des Alpes de Haute Provence, jusqu'à l'Estaque et aux calanques.
Les vagues respiraient doucement, comme un matin de juin.

Le dernier espace des vacances gratuites, pour combien de temps ?
Certains se plaisent à noircir le tableau et à dénoncer pollution et incivisme. Arles a pourtant eu jusqu'ici la sagesse de préserver cet espace de liberté, pensant sans doute que le bonheur d'un millier de familles et de quelques milliers d'enfants, pour l'essentiel de la proche région, mérite qu'on réfléchisse à deux fois avant de réglementer et de restreindre l'accès. Il suffit de quelques semaines - et sans doute d'un effort de nettoyage de la commune - pour que la plage retrouve son allure sauvage et inviolée. Occupation tolérée seulement, mais moins lourde qu'il n'y paraît.

Nous avons atteint l'embouchure du Rhône, émerveillés et silencieux, après plusieurs haltes pour contempler les oiseaux dans la longue-vue de Frédéric, notre guide.

Au retour, les bécasseaux minute (voir les photos) et les bécasseaux sanderling, posés de part et d'autre de la digues, criaient dans le soleil et s'envolaient par poignées.
Dans la grande salle du Bar des Sports de Salin-de-Giraud, sous une immense photo des tables salantes encore en production, un régal de tellines et vin blanc de Gageron nous attendait.

Pour repartir, nous avons pris le chemin des écoliers, par la petite route le long du Vaccarès gelé, multipliant les haltes pour figer la lumière du couchant, faisant lever des centaines d'aigrettes blanches au bord de la nuit.


Photos de ce billet : Isabelle Secretan. Voir l'album

dimanche 6 février 2011

Journées photographiques en zones humides avec le Parc de Camargue : les Grues et Listel

En cette journée internationale des zones humides, il est temps de revenir sur les balades que nous avons partagées cet hiver avec le Parc de Camargue et ses partenaires, les guides naturalistes.

"Des grues et des crus": sous ce titre incongru, c'est le domaine de Listel qui nous a accueillis le 11 décembre 2010 au mas des Saladelles où, en bordure des rizières du silo des Tourelles, des centaines de grues cendrées avaient fait halte. La plupart descendent jusqu'en Afrique mais elles sont de plus en plus nombreuses chaque hiver à s'arrêter en petite Camargue avant de repartir vers le nord aux beaux jours.
A la longue-vue les immenses oiseaux gris cendré sont impressionnants. Leur cri, une sorte de "grruu-grruu" qui leur a valu leur nom, s'entend de très loin, c'est leur manière de garder le contact entre les jeunes et les parents.

Les crus, en particulier le Franc de Pied issu d'une vigne non greffée dont les énormes ceps sont entretenus à la main et à l'ancienne, nous les avons dégustés au domaine de Jarras à Aigues-Mortes, avant de partir à pied dans le soleil le long de ce qui était autrefois un bras du Rhône et continue à séparer le domaine de Listel de celui des Salins. Côté Listel, la terre lavée d'eau douce est plus propice à la végétation et la pinède y est somptueuse.

Aigues-Mortes se découpait au loin, sous un jour inédit alors qu'entre les rangées de vignes plantées de céréales pour tenir le sable, galopaient les poulains de l'année, encore foncés et marqués du double L. Pour un hectare de vigne, Listel entretient un hectare d'espace naturel. Chevaux, toros et moutons venus de la Crau pour l'hiver contribuent à  cet entretien et à la vie du domaine. 


Lire ici un portrait du régisseur du domaine de Jarras.