lundi 29 mars 2010

Izis, le photographe qui rêvait

"Inconsolable et gai", c'est par ces mots - empruntés à "L'Hurluberlu" de Jean Anouilh - que son fils Manuel Bidermanas, co-commissaire de l'exposition qui se déroule jusqu'au 29 mai à Paris, décrit Izis. En regardant ses photos, on ne peut s'empêcher de réassocier ces deux adjectifs qui rendent si bien la tonalité des images.
Homme aux bulles de savon, Petticoat Lane, Middlesex street, Whitechapel, 1950 © Izis Bidermanas


  Place Falguière, 1949 © Izis Bidermanas
En 1951, le Musée d'Art Moderne de New York présente l'exposition "Five French Photographers": Henri Cartier-Bresson s'est entouré de Brassaï, Robert Doisneau, Willy Ronis et Izis, de son vrai nom Izraëlis Bidermanas. Edward Steichen, conservateur pour la photographie, à l'initiative de l'exposition, écrit à leur sujet : « à travers leurs personnalités et leurs styles très différents, se manifeste une profonde unité, certes sous-jacente, fondée sur une attention collective et évidente portée à l’aspect humain des choses, des moments, et des lieux représentés. » Avec Edouard Boubat, ils vont incarner la "photographie humaniste"(que la BNF a célébrée en 2006)  qui inspirera à leur tour les photographes américains. Mais malgré le succès, Izis reste le plus méconnu de tous.
Fête, place de la République, 1950 © Izis Bidermanas
En 1930, à 19 ans, jeune apprenti photographe sans argent et sans papiers, il  quitte sa Lituanie natale devenue indépendante et rejoint Paris où, après des années de galère, il devient gérant d'un studio photo. « Pourquoi Paris ? Parce que Paris excitait mon imagination. c’était la ville lumière. pour moi, tout se passait à Paris. En 1930, Londres, New York ou Berlin ne m’attiraient pas. On lisait des romans français, on apprenait avec intérêt l’histoire de France. pour nous, dans notre imagination, c’était le paradis européen, comme pour d’autres, l’Amérique. (...) nous étions attirés par la France comme pays de l’Esprit. la liberté, l’Égalité de l’homme et la culture, c’est ça qui nous faisait rêver. » 
Sur les quais de la Seine, Petit Pont © Izis Bidermanas

Pendant la guerre ses parents, restés en Lituanie, sont assassinés par les nazis. Lui-même, réfugié en zone libre à Ambazac, fait de la retouche photo et transforme son prénom en Izis. Arrêté, torturé, puis libéré, il s'engage à la Libération dans les FFI. De cette époque restent de magnifiques portraits de maquisards que les Limousins découvrent en septembre 1944 dans sa première exposition "Ceux de Grammont  vus par le soldat FFI Izis Bidermanas", dont voici deux photos, suivies de photos plus récentes.


Il revient à Paris, fréquente de nombreux écrivains et artistes et entre en 1949 au nouveau magazine Paris-Match, où il restera 20 ans. Photographe poète jusque dans ses reportages, il couvre le couronnement de la Reine d'Angleterre sans prendre une seule photo de la souveraine, l'oeil attentif aux à-côtés de la cérémonie. 
Celui qui voulait être peintre poursuit son chemin personnel et discret, comme si le succès et le feu des projecteurs n'arrivait pas à révéler.  Jusqu'à sa mort en 1980 il publie dix livres de photos, dont 3 avec son ami Jacques Prévert : "Grand Bal de Printemps", "Charmes de Londres", et "le Cirque d'Izis"(video et photos). 
Lagny, 1959 © Izis Bidermanas

Dans "Paris des rêves*", publié en 1950 et tiré à 170.000 exemplaires, ses images accompagnent des textes de Cendrars, Audiberti, Cocteau, Eluard, Seghers, Supervielle, etc. En 1964, Paris-Match consacre 20 pages à la réalisation du plafond de l'Opéra de Paris : Chagall n'a voulu qu'un photographe auprès de lui : son ami Izis.
Le manège © Izis Bidermanas

L'exposition parisienne comporte 270 photos et documents. Les tirages sont récents, selon la volonté de son fils, lui-même photographe. L'entrée est gratuite. Cela aurait certainement plu à Izis. En patientant pour entrer dans la Salle Saint Jean, on se dit qu'il aurait fait une belle image de cette foule de l'Hôtel de Ville.


Une foule d’admirateurs entoure la chanteuse Edith Piaf, sans date. © Izis / ParisMatch / Scoop

Dans cette video, le son est passionnant : Izis se raconte sur quelques images.

L'exposition "Paris des rêves" est organisée en 9 chapitres :
  • 1- Les maquisards, naissance d’un artiste 1944 ; 
  • 2- Paris éternel 1945-1977 ; 
  • 3- Portraitiste et reporter, Paris Match 1949-1969 ; 
  • 4- Charmes de Londres 1952 ; 
  • 5- The Queen’s People 1953 ; 
  • 6- Paradis Terrestre 1953 ; 
  • 7- Israël 1955 ; 
  • 8- Le cirque d’Izis 1965 ; 
  • 9- Le monde de Chagall 1969.
Télécharger le dossier de l'exposition, il contient de ombreuses photos. 
Voir la video sur l'exposition.
Voir les videos de l'Ina sur le Cirque et sur Prévert et Izis (Prévert parle de leurs livres et Izis photographie).
Lire l'article des Etudes Photographiques, Edward Steichen entre Paris et New York

La Maison de la Photographie Robert Doisneau à Gentilly fait circuler en la louant l'exposition qu'elle a créée en 2007, "Izis à travers les archives photographiques de Paris Match, 1949-1969".

D'autres photographies sont visibles sur le blog Les petites chroniques de Saint Sulpice (lien vers 6 pages).


*"Paris des rêves", Lausanne, La Guilde du livre, 1950. In-4° broché, 156 p. 
75 photographies d’Izis Bidermanas. Textes autographes inédits de Audiberti, Dominique Aury, Marc Bernard, Jean-Richard Bloch, Gaston Bonheur, André Breton, Henri Calet, Francis Carco, Blaise Cendrars, Gilbert Cesbron, Agnès Chabrier, Gaston-G. Charlet, Georges-E. Clancier, Jean Cocteau, Lise Deharme, Georges Duhamel, Paul Eluard, Pierre Emmanuel, Luc Estang, Maurice Fombeure, André Frénaud, Paul Gilson, Robert Giraud, Georges Hugnet, C.F. Landry, Robert Margerit, Loys Masson, Jacques Mercanton, Henry Miller, Pierre Mornand, Jean Paulhan, Louis Pauwels, Henri Pichette, Francis Ponge, Tristan Rémy, Gustave Roud, René Rougerie, Jean Rousselot, Claude Roy, Pierre Seghers, Jules Supervielle, Jean Tardieu, Edith Thomas, Louise de Vilmorin, André Virel.

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