mardi 18 janvier 2011

"Le monde d'Albert Khan" : mémoire des hommes, couleur des archives

Enfants à Angkor Vat, Cambodge, vers 1920 - Autogramme de Léon Busy - Musée Albert Khan
Pont de Mostar, Autriche-Hongrie, Bosnie, 19 octobre 1912 - Autochrome d'Auguste Léon - Musée Albert Kahn
"En 1908, le financier et industriel Albert Khan lance l'entreprise la plus ambitieuse de l'histoire de la photographie : il recrute une équipe d'opérateurs qu'il envoie dans le monde entier réaliser un instantané de la vie des hommes sur terre. Puisant dans son immense fortune personnelle, il leur fournit un matériel photographique de pointe dont l'autochrome, la toute première technologie permettant de prendre des clichés en couleur. Durant plus de vingt ans, Khan dépêche ses collaborateurs aux quatre coins de la planète. Ils rapportent une centaine d'heures de film et 72.000 autochromes, un trésor inestimable, mémoire d'instants fugitifs d'un monde qui va disparaître." 
Ainsi commence l'histoire de cette oeuvre unique et de la plus importante collection d'autochromes du monde, racontée dans un documentaire de la BBC de David Okuefuna rediffusé sur Arte en neuf épisodes depuis le 16 janvier à 16h50, et que l'on peut revoir sur videos.arte.tv (la série est également reprogrammée sur Arte à partir du 24 janvier à 9h15).
Tsiganes autour de deux berceaux, Prizren, Kosovo, 9 mai 1913 - Autochrome d'Auguste Léon - Musée Akbert Kahn


Trois cowgirls, Calgary, Canada - 14 mai 1926 - Autochrome de Frédéric Gadmer - Musée Albert Kahn


Musée Albert-Kahn / Département des Hauts-de-Seine
Albert-Kahn sur le balcon de sa banque, 102 rue Richelieu, Paris. 1914

Depuis les débuts de la photographie et pendant 70 ans, si l'on veut rendre la couleur, il faut peindre les images à la main car on ne sait pas encore synthétiser les radiations de la lumière. En 1907 les Frères Lumière, qui en 1895 ont inventé le cinématographe, dévoilent la solution : en teintant de la fécule de pomme de terre avec trois pigments différents et en la déposant sur une plaque de verre, ils sont parvenus à produire des photographies en couleur qu'ils baptisent "autochromes". Le documentaire les décrit ainsi : "Chaque centimètre carré d'une plaque autochrome est couverte de 4 millions de minuscules filtres transparents faits de fécule de pomme de terre. L'image qu'on voit est composée de millions de minuscules points rouge, verts et bleus. Le résultat est spectaculaire. La lumière qui brille à travers les plaques de verre révèle des images à couper le souffle. Les autochromes sont lumineuses, éthérées, oniriques. Elles rendent les couleurs d'une manière exquise. Après tant d'années de frustration, c'est une percée technologique fulgurante."
Place du marché, Ourga, Mongolie - Juillet 1913 - Autochrome de Stéphane Passet - Musée Albert Kahn
Voiliers au port, Concarneau, 1913 - Autochrome de Jules Gervais-Courtellemont - Cinémathèque Robert Lynen, Ville de Paris
Albert Khan, persuadé que le capitalisme éclairé par la philanthropie est facteur de progrès, milite pour la paix universelle ; il consacre sa vie et sa fortune à la connaissance des autres cultures qui rapproche les hommes et renforce le respect entre les peuples. Convaincu que son époque verra des mutations irréversibles et la disparition des modes de vie traditionnels, il lance en 1909, après un tour du monde, le projet des "Archives de la planète" dont il confiera plus tard la direction scientifique à Jean Brunhes, initiateur en France de la géographie humaine.
De la Bretagne à la Mongolie, de l'Irlande au Japon, chargés de leur matériel lourd et fragile, de leur appareil sur pied dont les plaques nécessitent un temps de pose d'une dizaine de secondes, à travers 50 pays, les opérateurs d'Albert Kahn saisissent des portraits, des scènes de la vie quotidienne, des paysages, des villes quelquefois traversées par des fantômes quand le sujet est en mouvement.
Le krack de 1929 ruine Albert Khan qui continue pourtant son entreprise de collecteur de mémoire jusqu'en 1935. Entre 1936 et 1939 le département de la Seine rachète ses collections photographiques et la maison de Boulogne où il meurt en novembre 1940, témoin de deux guerres qui ont bouleversé le monde qu'il voulait unir.
Soldat déjeunant, Reims, Marne, 1° avril 1917 - Autochrome de Paul Castelnau - Musée Albert Khan
Auguste Léon, Marguerite Mespoulet, Léon Busy, Georges Chevalier, Fernand Cuville, Georges Dumas, Frédéric-Georges Gadmer, Jules-Claudin Gervais-Courtellemont, Stéphane Passet, Camille Sauvageot, opérateurs et photographes ont écrit l'histoire de la photographie en contribuant à la constitution de ce fonds unique, aujourd'hui Musée Départemental Albert Kahn dont les collections sont en cours de numérisation. Le site internet (http://www.albert-kahn.fr/) du musée permet de visionner de nombreux clichés à partir d'une mappemonde interactive. 
Jardin Japonais Albert Kahn ©Hélène Jarry-Personnaz 2010
Le site réel est unique lui aussi puisqu'autour de sa maison, Albert Khan a fait aménager d'extraordinaires jardins où le jardin français et son verger-roseraie côtoient le jardin anglais et son cottage, le jardin et le village japonais, la forêt vosgienne, la forêt dorée et la forêt bleue
Jardin Japonais Albert Kahn ©Hélène Jarry-Personnaz 2010
Jardin Japonais Albert Kahn ©Hélène Jarry-Personnaz 2010
Miniature d'un monde parfait où les images tissent entre les hommes le lien toujours menacé de la paix et de l'harmonie.
Jeune fille portant l'ancien costume du Claddagh, Galway, Irlande - 26 mai 1913 - Autochrome de Marguerite Mespoulet - Musée Albert Kahn
Jardin Japonais Albert Kahn ©Hélène Jarry-Personnaz 2010


  • Albert-Kahn, musée et jardins, 10-14, rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt - Tel : 01 55 19 28 00.
  • Les videos du musée.
  • Séance de projection sur le site du musée, "L'Inde au quotidien" et "Albert Kahn à Boulogne-Billancourt".
  • Le site créé pour le centenaire de l'autochrome en 2007 : http://www.autochromes.culture.fr/
  • Une explication très claire du principe de la synthèse additive des couleurs, utilisée dans l'autochrome sur le site du CNRS.
  • Le site de l'exposition "Voyager en couleurs, premières photographies couleurs en Bretagne, 1907-1929", présentée au Port-Musée de Douarnenez à partir des Archives de la planète d'Albert Khan.


samedi 8 janvier 2011

Une soirée avec Thierry Secretan, photographe

A Aigues-Mortes, ce 24 novembre, la mer était belle en noir et blanc. Thierry Secretan ouvrait pour nous les photos de son exposition  "L'Empreinte du Cachalot"


Régates©Thierry Secretan

  Depuis un voyage initiatique en Espagne quand il avait 20 ans, Thierry a parcouru le monde comme journaliste, intéressé non par l'écume de l'évènement mais par le contexte d'une histoire, la recherche des liens, la profondeur des personnages. 

L'empreinte du cachalot©Thierry Secretan

Les mineurs d'Australie, l'or des Ashanti, les cercueils du Ghanale périple de Marie-Joseph Bonnat, les diamants d'Afrique du Sud, les cartes de Marco Polo, les traces de John Lennon, le destin de Jerry Rawlings, autant de récits qu'il a minutieusement documentés.  Chaque sujet représente des mois de travail, de voyage, de rencontre, d'écriture pour une série d'articles, textes et photographies, publiés dans les plus grands magazines. L'un a donné naissance à un livre magnifique "Il fait sombre, va t'en" aux éditions Hazan. L'aventure de Gentleman Jimmy, le roi blanc, l'a conduit au film documentaire.

Il y a quelques années, après quelques mois en Patagonie et une traversée de l'Atlantique sur son voilier, Thierry Secretan redécouvre le plaisir de la photo pure, le carré noir et blanc pris avec son Rolleiflex, tiré en grands formats qu'il expose aux Rencontres d'Arles 2006 ("Haute mer, hautes terres"), puis dans le cadre du Mois de la Photo 2008.


En nous montrant quelques unes de ses photos, en commentant les nôtres, Thierry nous a fait partager quelques conseils simples.


"Ne rien jeter" : la bonne photo ne se révèle pas forcément au premier visionnage. En revenant sur ses clichés, en les montrant, on s'aperçoit souvent qu'une photo écartée est intéressante, qu'elle accroche l'attention, qu'elle raconte une histoire. "Ne rien jeter" : la phrase nous a marqués et elle résonne maintenant à chacune de nos réunions. Cela sous-entend aussi ne pas mitrailler. Accessoirement, ne pas regarder les photos au fur et à mesure qu'on les prend, se concentrer sur le sujet et faire du tri une opération réfléchie, multiple, et si possible partagée car il est difficile de choisir seul.


Ne pas abuser du zoom, "le zoom rend fainéant". S'efforcer même de travailler toujours avec la même focale. Pour Thierry c'est évidemment le 50mm qui a la préférence parce qu'il rend le mieux la vision humaine. 


Conserver ses photos dans un format pérenne pour éviter les pertes progressives du format compressé Jpeg : en Raw pour ceux qui le peuvent, en Tiff plus simple à manier, et surtout sur papier : faire chaque année de beaux tirages de ses meilleures photos est à la fois un plaisir et la meilleure manière de les conserver. 


Quelques aperçus :
Elmina Castle par Thierry Secretan extrait de Castles & Forts of Ghana
         Kwesi J. Anquandah, Ghana Museums & Monuments Board, 1999

Sur les "Fabuleux cercueils" , article de Libération sur l'exposition de Besançon en 2010, et le blog très illustré du montage de l'exposition.
"Shangaï 2010, le mécano futuriste" pour VSD.
Obama au Ghana, correspondance pour Libération en 2009.
"Aux origines de l'apartheid", article pour la revue "Multitudes" où l'on apprend comment un reportage dans les mines d'Afrique du Sud conduit à la découverte et au sauvetage de la collection Duggan-Cronin, 2004.
"César exagère", voir un extrait du documentaire réalisé en 2002 sur la recherche su site d'Alésia.
"Patron noir et or sud-africain", article paru dans "Le Monde Diplomatique" en mai 1998.


Voir Géo Magazine :
- hors-série Portugal,  "Açores, un archipel au rendez-vous des cachalots";
- "Alésia" 2003 ;
- "Mines et apartheid" 2003.